Les boeufs de Saint Georges
L'Irlande au comptoir
Entretien avec John
Delorme, violoniste, luthier,
professeur et pilier de boeuf...
CMTRA : Vos boeufs existent depuis
six ans à Lyon et drainent toute
une flopée de passionnés de
musique irlandaise, quelle est
l'origine de ces boeufs, comment
fonctionnent-ils ?
J.D. : En Irlande, ça se passe comme
ça. Avant les gens jouaient chez eux
dans les cuisines, puis dans les années
70, ils se sont mis à jouer dans les
pubs. On appelle ça une session ; on se
donne rendez-vous au pub et les musiciens
qui ont envie se retrouvent là
pour jouer.
Nous, à Lyon en ce
moment, on se retrouve environ trois
fois par semaine autour du répertoire
traditionnel irlandais.
Comment expliques-tu cet engouement
? Quel type de public et de
musiciens touchez-vous ?
Je crois que les musiciens apprécient
de pouvoir exercer leurs talents dans
un lieu de vie, en buvant une bière
avec les copains, sans contrainte ni
obligation ... Ce n'est pas un concert,
c'est la vie.
Au delà de la musique
celtique, les gens viennent voir des
musiciens qui jouent des instruments
« live » devant eux. C'est aussi simple
que ça, il y a des gens qui n'ont jamais
vu ça, et ça les surprend beaucoup. Et
puis enfin il y a l'attrait pour la
musique irlandaise proprement dite.
Il y a aussi l'idée d'improvisation
qui est spécifique aux boeufs ...
Ce n'est pas totalement vrai pour
l'irlandais. On joue un répertoire de
plusieurs centaines d'airs traditionnels
qu'on associe en suites. La suite de
morceaux peut être improvisée ou prévue
d'avance. Sur ces morceaux-là on
fait des variations ou on improvise sur
l'accompagnement. C'est un répertoire
très codifié, avec des morceaux
qui viennent du nord et du sud de
l'Irlande, c'est une véritable culture
dont il faut bien connaître chaque
élément ...
Qu'est-ce qui pour toi relève d'une
façon de vivre la musique propre
aux musiques traditionnelles ?
On joue sans organisation précise ...
Aujourd'hui, on est toute une bande à
connaître ce répertoire, c'est devenu
naturel de le jouer, c'est devenu notre
vie. Ça n'a rien d'exceptionnel, c'est
du quotidien. Pour moi ça a beaucoup
de valeur, ce côté pas organisé. Ça se
fait presque tout seul sans qu'on ait
besoin d'appeler tout le monde, de
trouver des lieux ou de l'argent pour le
faire.
Est-ce que ces sessions constituent
une forme d'apprentissage en tant
que telle ?
On peut venir en session pour
apprendre. Mais la musique irlandaise
demande une technicité importante, il
y a une connaissance de la musique,
un savoir-faire qui ne s'invente pas. Le
rythme de la musique irlandaise est
sensiblement différent de celui que
l'on connaît culturellement, il y a un
rapport au temps, au swing qu'on n'a
pas tellement en France (sauf peut-être
dans la musique manouche). Du coup
je pense qu'une session, c'est un bon
lieu pour se perfectionner, mais ça ne
peut pas constituer un lieu d'apprentissage.
Quels instruments peut-on croiser
dans vos sessions?
Violons, bouzouki, mandole, mandoline...
le chant c'est plus rare, ça
manque un peu ... banjo. Il y a aussi
les flûtes (twin whistle, low whistle).
Il y a pas mal de cornemuses irlandaises
(uilleann pipes), accordéon diatonique
et parfois chromatique,
concertina, le bodhran pour les percussions.
Moi, je délaisse parfois mon
violon pour la guitare, car je trouve
que ça manquait aux sessions..
A ton avis, pourquoi un tel répertoire
dans une ville comme Lyon ?
Ca vient beaucoup des musiciens qui
sont là depuis longtemps, je joue beaucoup
avec Guy Vevre, qui fait de la
musique irlandaise depuis vingt ans,
qui amène un certain répertoire, John
Dohorty ou Charlie Skutt qui vient du
Pays de Galles.
On a tous appris les
morceaux les uns les autres, donc on
partage tout un corpus commun. Souvent
dans d'autres villes, les musiciens
apprennent leur répertoire à partir des
disques, à Lyon on a beaucoup de
répertoires transmis par les musiciens
eux-mêmes. Il s'agit d'une transmission
directe de personne à personne,
c'est très important ...
Qu'est ce que ça change dans le
rapport à la musique ?
J'ai appris mon répertoire avec John
Doherty qui m'a appris le violon et
pour chaque morceau il avait une
petite histoire à me raconter.
C'est
assez exceptionnel pour moi d'avoir
eu cette chance là. Ce répertoire je le
tiens de quelqu'un, c'est comme un
flambeau que l'on te transmet, c'est
pas quelque chose d'anonyme, le morceau
prend une histoire en plus et tu
ressens autre chose quand tu le joues.
Je trouve nécessaire qu'il y ait une
transmission des répertoires, si tu veux
développer quelque chose, si tu veux
rendre accessible une culture, il faut
qu'il y ait un apprentissage, c'est fondamental.
Cela peut se faire par les
cours et s'appuyer sur les sessions.
John Delorme, tu fais aussi partie
d'un groupe de musique ... irlandaise
..
Notre groupe s'appelle Shelta, il s'est
formé avec des musiciens qui sont tous
issus de la session. Nous formons un
petit groupe de gens passionnés par la
musique irlandaise qui s'est réuni pour
faire quelque chose d'un peu plus
arrangé.
Nous sortons un disque que
nous avons pu enregistrer et produire
grâce à un partenariat avec Métive. Il
a été enregistré par Laurent Baraton,
un très bon ingénieur du son. Nous
serons programmé dans le cadre du
festival Bouches à Oreilles, le festival
organisé par Métive à Parthenay.
Propos recueillis par P.B.