Rural café
En suivant la Draille
A l'occasion du nouvel album
du Rural Café, En suivant la
draille, entretien avec le
musicien-collecteurcompositeur-
arrangeurinterprète-
ethnomusicologue
(...) Patrick Mazellier.
Détours en mondes occitanoardécho-dauphinois.
CMTRA : Après un premier album
aux couleurs d'Ardèche et du Dauphiné
mais aussi un peu d'Irlande
et du Canada, quelles sont les couleurs
du nouvel album du Rural
Café ?
Patrick Mazellier : En suivant la
draille... c'est le titre de notre nouvel
album et cela me paraît assez explicite :
la draille est ce petit chemin qui nous emmène dans la montagne et qui peut
aller très loin, jusqu'à Compostelle par
exemple. C'est aussi symboliquement
ce qui relie les hommes entre eux et
donc les musiques. Il y a dans cet
album, en plus de notre dimension
occito-ardécho-dauphinoise (!) des
influences plus affirmées, dans le
choix des répertoires, les arrangements,
mes compositions. Elles viennent
principalement de l'apport de
chacun, musiques orientales pour
Karim Ben Salah le percussionniste,
musiques celtes et orientales pour le
bouzouki de Patrick Chanal, musiques
anciennes pour les flûtes de Nicolas
Zorzin, jazz moderne pour la contrebasse
de Christian Devaux et le clavier
de Stéphane Vettraino... J'essaie de
coordonner un peu tout cela, avec des
choses plus ou moins écrites mais
RURAL CAFÉ c'est avant tout un
espace de rencontres où l'on essaie de
garder intacte l'envie de jouer, l'énergie,
un certain esprit et je crois que cela
transparaît dans ce CD.
Mais il y a aussi d'autres intervenants,
dans cet album ?...
Nous avons, en plus des 6 musiciens
qui constituent la formation habituelle,
invité deux chanteuses de langue occitane
: Huguette Betton et Pascale
Aymes. L'aspect vocal est donc plus
développé que dans le premier album
avec, entre autres, une adaptation d'un
chant de mai, d'une chanson de carnaval,
du chant à danser... En fait, le sixtet
a beaucoup de possibilités d'alliages
de timbres, il permet d'utiliser
des rythmiques d'esprit très différents
avec le bouzouki, le piano, la contrebasse.
Les percussions peuvent être
mélodiques, pour renforcer le violon et
la flûte, ou plus dans les basses,
comme dans certaines bourrées où
nous avons emprunté des « plans de
tourne » à notre folkloriste ardéchois
préféré, Vincent d'Indy. En rajoutant
des vocaux à 3 ou 4 voix, on obtient
une palette sonore qui permet d'aborder
des répertoires qui me tenaient à
coeur, et que j'avais envie de chanter
depuis longtemps.
Et d'où viennent tous ces morceaux ?
Il y a un fond traditionnel assez important
qui provient de collectes
anciennes d'A.et D. Laperche,
S.Beraud, J.Dufaud ou de moi-même.
Il y a quelques pièces rares, chant à
danser, bourrées « boiteuses », mélodies
du Vercors, une mélodie turque...
et même un très beau cantique à la
Vierge. En plus du travail d'arrangement,
il y a beaucoup d'adaptations,
réélaborations de mélodies traditionnelles
et bien sûr des compositions,
rigodons, bourrées, rondes.
Et quelle est la part des mélodies à
danser ?
Mis à part deux chansons, tout est dansable
: rondes, bourrées, rigodons... et
nous avons même indiqué la chorégraphie
de la Vire du Coiron. Bien sûr,
il y a des parties improvisées, mais
dans ce cas la rythmique reste très
fidèle au rythme moteur de la danse. Il
y a aussi des danses peu connues que
nous enseignons en stage : Al grand
prat, Los Escarpis... Nous nous orientons
de plus en plus vers un genre de
bal « concertant », avec du chant à
danser, des pauses d'écoute pour reposer
les danseurs et sortir de cette dichotomie
entre une partie concert et une
partie bal.
Est-ce que le travail créatif, la
recherche des répertoires, permettent
d'entrevoir des connexions musicales
avec des cultures éloignées ?
Nous avons pris le parti instrumental
d'interpréter les mélodies avec le violon
et la flûte, ce qui nous rapproche
beaucoup des musiques celtes, orientales
dans la souplesse du phrasé, les
timbres.
Nous pratiquons tous à des
degrés divers, en plus des musiques
régionales du Vivarais et du Dauphiné,
la musique irlandaise, la musique
orientale, les musiques transalpines...
RURAL CAFÉ est donc transculturel
depuis le début, tout naturellement, ce
qui ne nous empêche pas de cultiver
des styles de jeu très traditionnels, de
les confronter et de constater que cela
marche plutôt bien, sans pour autant
tomber dans une normalisation musicale
qui nous limiterait à des « collages
» folk-jazz ou des ambiances uniformes
et répétitives. L'utilisation des
percussions orientales convient parfaitement
à notre démarche musicale,
comme pour le bouzouki et ses
accords particuliers, le clavier avec
un jeu mélodico-harmonique et un son
un peu « raï »...
Mis à part cela, il est
clair que les échelles mélodiques de
certaines bourrées, plus rarement de
certains rigodons, sont proches de certaines
échelles orientales, voire araboandalouses,
que le rythme de la bourrée,
qui a pu être décliné de multiples
façons, contient des éléments de
rythme complexes, irréguliers, que
l'on retrouve, entre autres, dans les
Balkans. Au-delà de l'ethnomusicologie,
ce qui me paraît important c'est
d'arrêter de définir les individus uniquement
par leur appartenance à des
groupes ethniques ou religieux mais
aussi par leur capacité à créer, à partager,
à transcender leur condition, et la
musique, quand elle est belle, bonne et
sincère, sert aussi à cela.
Propos recueillis par F.L.