Invitation au vent
Rencontre avec Hervé Baron,
porteur et instigateur du
projet Invitation au Vent.
CMTRA : Vous avez intitulé votre
spectacle « Invitation au vent »,
est-ce là une invitation pour nous,
publics,à se laisser porter par Eole ?
Hervé Baron : Pas exactement, dans
ce titre l'invitation s'adresse au vent en
tant que symbole de l'énergie. On
pourrait parler d'invocation, "que
vienne la bonne énergie!" . Sans s'attacher
à une signification culturelle précise,
il y a la volonté de donner à l'acte
artistique un sens sacré, comme on le
trouve à l'origine du Bharata Natyam
(danse du sud de l'Inde).
Et où les vents emportent-ils ce
spectacle alors ?
Il s'agit d'un spectacle pluridisciplinaire
faisant se rencontrer la danse,
un ensemble de musiciens et un collectif
constitué de collégiens, de
lycéens, d'enfants et d'adultes. Le
spectacle réunit donc des pratiques,
des traditions et des cultures différentes.
Les influences sur le plan musical
sont pour une grande part
indiennes, avec le répertoire d'Annie
Torre, mais pas seulement puisque
l'identité de chacun reste bien définie.
Lionel Rolland, guitariste et
joueur de luth, crée un environnement
issu de son parcours entre le blues, le
flamenco et les musiques du Maghreb.
Et dans mon travail je m'appuie sur les
éléments de langage propres à notre
culture occidentale. L'aspect esthétique
ou visuel est, pour une grande
part, influencé par mon parcours dans
les arts martiaux et les cultures du zen.
Comment avez-vous construit ce
spectacle ?
Nous nous sommes appuyés sur le
récital de Bharata Natyam. Cette danse
sacrée a une logique interne que je
compare à la liturgie de la messe. On
peut effectivement faire un parallèle
entre les différentes pièces de ces deux
formes musicales. Le Pushpanjali et
l'Introït sont les pièces d'entrée, d'ouverture,
dans un style posé sans
recherche de virtuosité. L'Offertoire et
le Varnam ou le Tillana sont des pièces
virtuoses, sortes d'offrandes musicales
ou corporelles. Ou encore le Mangalam
et le Bénédictus qui dans les deux
cas ont fonction de bénédiction.
Dans le spectacle, la danse Bharata Natyam
est présentée sous ses deux aspects. La
danse pure, danse rythmique et puissante
qui met en jeu le corps dans sa
globalité. La danse narrative qui
exprime les émotions, les sentiments.
Les compositions du duo de Lionel et
Cédric et celles de Valentin prennent
naturellement place de divertimenti
dans le récital.
Si notre création est conçue sur cette
base et créé donc un lien entre les différentes
cultures, musicalement il a
fallu adapter et trouver une place
"juste" dans cet environnement. Ainsi,
par exemple, les chants sont en français
et s'appuient sur la tradition populaire
occidentale. Il n'y a donc pas un
son "indien", même si la percussion
avec les tablas de Cédric Germain est
indienne
Le vielleux Valentin Clastrier a
accepté votre invitation en s'intégrant
à votre spectacle. Pourquoi
avoir choisi ce musicien ? Quelle
place a-t-il ?
Ce souhait naît d'une rencontre en
2002 au festival de l'Ephémère à Hauteville.
Des questionnements et des
recherches communes nous ont rapprochés
et notamment les problématiques
liées à la notion de tradition :
comment s'approprier la tradition ? Et
l'échange entre les différentes cultures,
les différents courants peut participer
des processus d'appropriation.
Valentin Clastrier joue de la vielle à
roue, instrument traditionnel par
excellence. Pour autant, il a posé la
question de cette relation puisqu'il a
transformé son instrument en le faisant
passer de 6 à 27 cordes. Il a recréé
l'instrument et par là même, le jeu sur
et avec l'instrument, le répertoire et la
technique. Ce qui nous intéresse dans
la personnalité de Valentin, c'est qu'il
est un musicien en recherche au niveau
d'une tradition, il fait partie de ce que
j'appellerais « l'avant-garde de la
tradition. »
... ?! Comment penses-tu la notion
de tradition ?
Ce qui importe est bien ce qui se passe
avant le spectacle et plus particulièrement
la relation à l'enseignement. Tradition
signifie transmettre mais la
question est la façon dont la transmission
se fait.
Et il est évident que l'apprentissage
d'un langage implique une imprégnation
de toute la personne. Et cela n'est
possible qu'à travers une pratique où le
corps est engagé complètement.
Cette question de la tradition est donc
étroitement corrélée à celle de l'expérience
quotidienne de la musique. Pour
l'artiste confirmé, jouer de la musique
chaque jour consiste à exercer son
métier. Pour les amateurs, il n'y a que
peu d'espaces, de lieux pour la
musique dans le quotidien. Nous
avons perdu ce type de rapport à la
musique.
Finalement on peut dire que
l'individu d'aujourd'hui consomme
plus de produits qu'il ne participe lui
même à un processus de re-création.
Enfin, la tradition sous-tend une
dimension sociale où la relation,
entendue comme un espace d'apprentissage
et de transmission, occupe une
place primordiale. En créant ce spectacle
nous créons un lieu de tradition.
Amateurs et professionnels sont
réunis dans ce spectacle. Quelle
volonté a précédé l'association de
ces différents protagonistes ?
Invitation au Vent célèbre et ne se pose
donc pas la question de la virtuosité.
L'idée consiste à rassembler et lier les
gens à travers une pratique. Un des
enjeux de ce spectacle est bien de donner
une place à chacun, et je dis souvent
qu'il n'y a pas de prolétariat de la
musique. On se trouve contraint à
communiquer et à échanger si l'on
veut qu'arrive le vent.
L'échange entre l'élève et le virtuose
consiste pour le premier à entrer dans
les compositions de l'autre en utilisant
des techniques très simples. Pour le
professionnel il y a la nécessité de ne
pas s'enfermer dans la virtuosité, la
technique. Il faut de toute façon communiquer.
Il n'y a pas de séparation
hiérarchique entre les individus mais
reconnaissance mutuelle de l'expérience
de chacun. Par exemple, on
reconnaît la pratique d'Annie qui a travaillé
des années pour devenir dépositaire
d'une telle tradition.
Alors que le réacteur médiasphère
de génération star'ac' opère un perpétuel
matraquage binaire de nos
oreilles et de nos esprits, comment
les amateurs que vous accompagnez
se sont imprégnés de
structures rythmiques complexes,
de boucles qui tournent en 9 ou 11
temps ?
La question est bonne. Dans ma façon
d'enseigner, très influencée par les arts
martiaux, l'enseignement s'adresse
essentiellement au corps. Il s'agit de
transmettre par la pratique des archétypes
de rythmes et de forme. Ainsi se
mettent en place un vrai sens rythmique
et une mémoire corporelle. Et
certains de mes élèves me suivent
depuis dix ans et plus. Certains ont
commencé à l'âge de 2-3ans. On peut
vraiment dire qu'il y a imprégnation,
qu'un travail de fond a été fait, corporellement.
Alors dans ces conditions il
peut y avoir, naturellement, une place
pour l'amateur dans des musiques qui
restent, elles, à leur niveau de virtuosité.
Et il est vrai que les structures rythmiques
des compositions de danse
dans le Bharata Natyam sont complexes.
Les cycles à 7 ou 9 temps sont
très courants et la forme rythmique
(phrases, thèmes, mouvements) des
pièces est très développée. Il en est de
même pour l'aspect mélodique, Lionel
joue sur des modes on l'on trouve souvent
le degré inférieur à la tonique en
position naturelle, le second degré
mineur ou bien le quatrième degré
augmenté... Mais là encore on peut
relier les cultures, ne trouve-t-on pas
tout cela dans notre modalité grégorienne?
Tu sembles accorder beaucoup
d'importance à la place du corps
dans votre création...
Comme je l'ai dit, le corps constitue le
lieu d'intériorisation et de mémorisation
des archétypes rythmiques et
mélodiques. On tente donc de s'imprégner
à travers les frappés de mains,
les pas, ... D'autre part pour pratiquer
le rythme, le chant, il faut une posture.
Ce sont donc tous ces gestes simples
que l'on mène sur la scène.
Vous consacrez une large place à la
dimension rituelle dans votre spectacle,
comment les protagonistes
combinent-ils avec cet aspect ?
Le rituel ne fait ici référence à aucune
religion mais s'inscrit plus dans le
quotidien, au coeur de l'humain, un
“rituel néopaïen” d'une certaine façon.
Je l'explicite souvent en le comparant
au rituel de la table au moment du
repas, situation tout à la fois simple et
complexe.
Qu'est ce que la table sinon
un lieu du rituel, un lieu de rites?
La position assise à table constitue un premier
code. La séparation choisie entre
le bas du corps, lieu de nos pulsions
d'une part, et le haut du corps, siège du
spirituel d'autre part, est porteuse de
sens. De même, nous faisons le choix
de se mettre autour de la table, en
situation de regards croisés, nous prêtons
attention à celui ou à celle que
nous allons servir en premier, ... Le
moment de la table fonctionne parfaitement
parce qu'on a mis en place
cette relation très codifiée. Se serrer
la main, chanter une berceuse pour
endormir les enfants sont autant de
moments qui peuvent s'envisager
comme du rituel.
Et bien de la même façon, l'espace
scénique constitue un lieu d'attention
particulière : on ne marche plus, on ne
se tient plus comme dans le quotidien.
Il y a lieu d'être vigilant, bien attentif.
La scène, la table sont des lieux où
peut s'exprimer la dimension humaine
de l'individu. On peut ne plus passer
à table pour seulement se nourrir.
N'existe-t-il pas un danger de produire
de l'artificiel dans l'acte de
déplacer ou de recréer du sacré ou
du rituel ?
Effectivement, le risque existe et
notamment celui du collage. Seule la
pratique intense et historique, personnelle
et collective de chacun des protagonistes
garantie l'intégrité de la
démarche et la pertinence du rituel. Ce
spectacle est étroitement lié au travail
fait au quotidien. Chaque semaine,
l'enfant, l'adolescent ou l'adulte vient
pratiquer et depuis un certain nombre
d'années. D'autre part le projet existe
depuis 3 ans. C'est donc autant
d'heures et de jours qui sont visibles
lors de ce spectacle. Et finalement
avec le temps ne reste que ce qui est
vraiment naturel.
Sensiblement, comment le spectateur
fait l'expérience de cette
dimension rituelle ?
Si le rituel a sa place, s'il sonne juste,
c'est aussi parce que le choix et la
conception des gestes reposent sur la
simplicité. Comment s'asseoir ? Comment
prendre la paire de bâtons ?
Quelle posture choisir pour chanter ?
Dans le Théâtre japonais le chanteur,
quand il chante, tient son éventail en
faisant attention qu'une partie reste
en contact avec le sol. Al'instar de ce
chanteur, les gestes de chacun sont très
simples en même temps qu'ils produisent
du sens. Notre esthétique du geste
vise justement à lui porter soin et
attention, à adopter une tenue et des
postures qui véhiculent une énergie.
Pour finir, quel bon vent peut-t-on
vous souhaiter ?
Le défi de nous réunir et d'aboutir
cette création est déjà relevé puisque le
spectacle a aujourd'hui une existence
bien réelle. Souhaitons-lui bon vent.
Propos recueillis par J.S.E.
Contact
Hervé BARON
Tél : 04 72 48 27 12
Invitation au Vent
Samedi 20 Mai,
Meyzieux